Une lutte fratricide à la quête du maillot jaune, un maillot à pois qui change la veille de l’arrivée aux Champs-Élysées … lors d’un chrono et une bagarre, assez rare pour la notifier, pour le maillot vert.

Primož Roglič (à gauche), Tadej Pogacar (au centre) et Richie Porte (à droite) forment le podium du Tour de France 2020
La remontadej de Pogastar
Tadej Pogacar a marqué la petite reine de sa classe, de sa capacité à ne jamais renoncer. Lors de la 7ème étape, entre Millau et Lavaur, il laisse échapper 1’21 sur un coup de bordure lancé par les Ineos Grenadiers ensuite relayés par la team Quickstep d’Alaphilippe, la Jumbo Visma de Roglič et la Astana de Miguel Angel Lopez. Le lendemain, lors du sacre de Nans Peters (26 ans), vainqueur à Loudenvielle pour son premier Tour, Pogacar décide de tout tenter, opération rédemption, pour revenir dans la lutte pour le général. Résultat : Tadej Pogacar attaque à 12,8 km de l’arrivée, il écrase les pédales, fait corps avec son vélo et reprend 40 secondes sur tous ses concurrents. On se dit alors que le prodige slovène est très fort mais que sa minute vingt et une de perdu sera probablement irréversible.
On s’interroge aussi sur la stratégie de la Jumbo Visma qui semble imprenable mais qui laisse bizarrement un solide outsider revenir dans le coup pour le général. Primoz Roglič semble si facile, il effleure et chatouille les pédales mais n’attaque pas alors qu’il n’est pas réputé pour être le plus fort en fin de Tour. La troisième semaine a vu le jaune jumbo se confondre avec le jaune soleil du maillot du leader au général. Une équipe surpuissante qui cadenasse la course, empêchant attaques et faisant une sélection par l’arrière. Et puis, et puis… arriva le monstre des temps modernes, le Dantesque Col de la Loze qui a vu, dernière l’intouchable superman Lopez, un duel fratricide opposant le métronome Roglič (30 ans) à la fougue de Pogacar (21 ans). 15 secondes d’avance pour l’aîné au moment de couper la ligne, reléguant ainsi son principal adversaire à 57 secondes au général. La victoire semble déjà actée, les autres coureurs devront probablement se battre pour les places d’honneur.
Le lendemain, pour la dernière étape de montagne, entre Méribel et la Roche-Sur-Foron, les favoris se neutralisent. Mis à part les défaillances de Yates et Uran (2’30 de perdu sur les favoris), un statu quo a lieu en tête du classement. Place au contre la montre. Le Tour semble inévitablement revenir à Roglič. Seuls les duels pour la 4ème et la 7ème place semblent possibles. En soit, des places d’honneur pour se consoler d’un tour de France jusqu’alors assez terne. La Jumbo détrônant la team Ineos Grenadier (anciennement Sky) mais reprenant le même procédé : mettre en place un tempo très élevé pour empêcher les attaques et gagner à l’emballage pour récupérer les bonifications de temps : une stratégie chirurgicale mais sans folie.

Le train de la Jumbo Visma pour son leader Primoz Roglic (en 2e position sur la photo)
Les plus hauts sommets gravis, spectateurs et spécialistes pensaient logiquement le Tour plié, le suspens annihilé. Il n’en fut rien. Un chrono original, long de 36,2 km entre Lure et la Planche des Belles Filles. Plat dans sa première partie, les coureurs se sont ensuite heurtés aux terribles pentes de la Planche des Belles Filles. Rémi Cavagna a longtemps cru en ses chances, reléguant tous ses adversaires à plus de deux minutes, mis à part David de la Cruz. Puis tout d’un coup, le Tour de France a basculé. Wout Van Aert relègue le Français à 28 secondes, incroyable de facilité dans les pentes les plus raides. Mais Tom Dumoulin est encore plus fort et prend 10 secondes à son coéquipier. On pense alors assister à une démonstration de la Jumbo Visma et pourquoi pas un triplé historique à l’arrivée. Bien sûr cela aurait été frustrant pour les spectateurs et les autres coureurs. Yates, Lopez et Valverde roulent sur la jante, collés au bitume, ils subissent et astiquent les rivets de leur selle. Richie Porte, 35 ans, fait quant à lui un énorme chrono. Survolté, il finit dans le même temps que Tom Dumoulin et s’assure son premier top 3 sur un grand tour.
Place au duel fratricide entre les Slovènes. Pogacar s’élance comme une fusée, il prend tous les risques et envoie un braquet d’asthmatique. Le but étant de faire douter Roglič. Ce dernier perd rapidement du temps : 10 secondes, puis 20, puis 30. Le Tour tremble et retient son souffle. La Furie Pogacar relance sans cesse, aujourd’hui il a les chaussettes légères, des socquettes en titane. Roglič quant à lui, se dandine sur son vélo, il se bat contre sa machine. La machine de la Jumbo Visma semble rouillée, en proie au doute, en témoigne le changement de vélo tardif du maillot jaune sur les terribles pentes de la Planche des Belles Filles. Pogacar a lui changé de cycle dès le début de l’ascension, toujours un temps d’avance sur son rival. Dès la moitié de l’ascension, il s’empare virtuellement du maillot jaune. Il fend la foule en furie qui sent bien que quelque chose d’énorme se trame. 1’21 d’avance sur Dumoulin à l’arrivée. C’est un chrono des dieux, tout simplement dantesque. Il s’élève quand Roglič sombre, le casque de traviole, l’air effaré. Ses coéquipiers regardent la fin de la course sur un écran géant, leurs visages se décomposent peu à peu. Le ciel s’assombrit, tombant peu à peu sur la tête de la Jumbo Visma.

Primoz Roglic lors de l’ultime contre-la-montre
Un chrono qui ne va pas sans rappeler celui de 1989 lorsque Greg Lemond détrôna Laurent Fignon, alors solidement leader du Tour, pour 8 secondes seulement. Un coup de Trafalgar terrible dont Lemond a transmis le secret à Pogacar. Assis par terre, les yeux dans le vide, l’air hagard pour Fignon en 1989, pour Roglič en 2020 : même combat. Battu, abattu, Roglič n’a pourtant pas réalisé un chrono ridicule, à 1’56 de son compatriote, il finit 5ème du chrono. Il est juste tombé sur l’insolence de la jeunesse. Entre fougue et immaturité, Pogacar a laissé la pression loin derrière lui, freinant et tétanisant Roglič, tous derrière et lui devant, tout beau vêtu de jaune. En 2019, Egan Bernal avait déjà marqué le tour de son extrême précocité faisant de lui le 3ème plus jeune vainqueur du Tour. Mais, en remportant le Tour de France à la veille de ses 22 ans, Pogacar a fait fort, beaucoup plus fort, en devenant le plus jeune vainqueur du Tour depuis plus d’un siècle… 1904 exactement et la victoire d’Henri Cornet, âgé de seulement 19 ans.
Des Français à la peine
Les Français ont pour leur part connu un Tour de France étrange, marqué par quelques coups d’éclats mais surtout par d’importantes désillusions. Alors que l’édition 2019 nous permettait d’entrevoir enfin un successeur à Bernard Hinault, dernier Français vainqueur de la Grande Boucle, en 1985, diverses péripéties sont venues doucher nos espoirs de reconquête de la tunique jaune. Thibaut Pinot a une nouvelle fois joué de malchance, en chutant dès la première étape. Le Franc-Comtois a traversé le Tour tel un fantôme, gêné par de récurrents problèmes au dos. Romain Bardet et Guillaume Martin ont pour leur part réussi à faire illusion pendant la première partie du Tour, en restant au contact des favoris, avant de dissiper les dernières chances françaises. Au rayon des belles surprises, on retiendra tout de même le beau parcours de Rémi Cavagna, avec en point d’orgue, un dernier contre-la-montre réussi, qui permet d’entrevoir de grandes choses pour les futurs mondiaux (vendredi 25 septembre). Nans Peters (AG2R La Mondiale), pour sa première participation, s’est octroyé au panache, une étape pyrénéenne, qui vient nous mettre un peu de baume au cœur. Benoît Cosnefroy (AG2R La Mondiale) et Quentin Pacher (B&B Hotels-Vital Concept) se sont également montrés à leur avantage. Souvent dans les échappés, ils auront lutté pour le maillot à pois avant de rendre les armes face à des concurrents intraitables. Enfin, Julian Alaphilippe, en grand champion qu’il est, aura encore une fois animé le Tour. Dès la deuxième étape, il s’emparera du maillot jaune avant de le céder un jour plus tard, sur une malencontreuse erreur de ravitaillement.

Julian Alaphilippe, vainqueur de la 2e étape, à Nice
La « bulle course », une réussite
D’un point de vue sanitaire, le Tour de France s’est déroulé sans accroc. Aucun des 176 coureurs n’a été testé positif à la Covid-19. Sur plus de 700 personnes présentes dans la « bulle course », seulement 4 membres de staff ont été testés positifs. Christian Prudhomme, directeur de la course, a lui aussi été reconnu positif mais il ne faisait pas partie de la bulle. Malgré un climat anxiogène dû à la peur du virus, ce Tour de France 2020 reste une franche réussite. Les différentes parties prenantes (coureurs, staff, journalistes, …) ont su s’adapter à un protocole sanitaire très strict, pour permettre au spectacle d’aller jusqu’à son terme, jusqu’à un magnifique dénouement.

Tadej Pogacar vêtu de jaune, lors de l’arrivée à Paris
Tadej maillot blanc du meilleur jeune, Pogacar maillot à pois du meilleur grimpeur, Remontadej Pogastar maillot jaune envers et contre toute la Jumbo Visma. Après un Tour de France plutôt terne sans envolées ni grandes bagarres pour le général, la petite reine a pris une toute autre allure lors du contre la montre vers la Planche des Belles Filles. Un Tadej Pogacar qui détrône l’impassible Primoz Roglic. Richie Porte a lui réussi a atteindre son premier podium lors d’un grand tour. Les Français ont plutôt déçu avec seulement deux victoires d’étapes et les illusions d’un maillot jaune sur les Champs Elysées vite douchées. La lutte pour le maillot vert a été rude entre Sam Bennett, plus rapide au sprint et toujours placé, et Peter Sagan en deçà dans les sprints massifs mais qui a eu le mérite de tout tenter pour renverser son rival, sans succès.