Julie Cailleretz, athlète venant du Nord Pas-de-Calais, médaillée mondialement à plusieurs reprises, répond à nos questions sur sa gestion du confinement et son sport, le canoë.
Ce dernier, sous l’impulsion de très bons résultats et de figures de proue telles que Denis Gargaud (champion olympique en slalom, à Rio) ou Adrien Bart (médaille de bronze en course en ligne, aux derniers mondiaux), tend à se médiatiser davantage et représente une source de médailles récurrente pour le sport français.
Source: Eleah Dupont
Salut Julie, peux-tu nous présenter ton sport ?
Je fais du canoë course en ligne, plus spécifiquement du sprint en 200 et 500m. Le canoë peut se pratiquer seul (canoë monoplace, C1) ou en duo (canoë biplace, C2)et même par quatre (canoë 4 places, C4). Également, il est pratiqué en eau calme (course en ligne), en eau vive (descente, slalom) mais aussi en mer. Aux Jeux Olympiques, en sprint féminin, on retrouve le monoplace sur 200m et le biplace sur 500m, ce sont les deux seules courses (200m monoplace et 1000m monoplace et biplace chez les hommes). D’ailleurs, Tokyo sera la première olympiade pour le canoë féminin. Après, sur des échéances comme les Championnats du monde et les Championnats d’Europe, il y a plus de courses car il y a une volonté de développer la discipline. Sinon, pour le sprint, le principe reste simple, une course d’un point A à un point B.
Quelles sont les différences notables entre le canoë et le kayak ?
Il y a plusieurs différences importantes. Tout d’abord,en canoë, nous avons une pagaie simple, donc nous pagayons d’un seul côté et sur les genoux. En eau vive, les céistes sont sur deux genoux et sur un seul pour l’eau calme. Les kayakistes quant à eux, sont assis et pagaient des deux côtés avec une pagaie double. Par contre, le kayak comme le canoë se pratique en eau vive, en eau calme et en mer.
Pourquoi t’es-tu orientée vers ce sport ? Qu’est-ce qui te plait le plus dans la pratique de ce sport ?
J’ai d’abord fait du kayak car quand j’ai commencé, le canoë féminin n’était pas encore très développé et assez difficile d’accès et on nous orientait plus vers le kayak également. J’en ai fait quand j’étais très jeune, jusqu’à mes 12 ans. Ensuite, je suis passée au canoë et comme la discipline commençait tout juste à se développer, j’ai pu très vite gagner des médailles dans les catégories jeunes. Et naturellement, quand les résultats suivent, on a davantage envie de s’investir à fond.
Qu’est-ce qui te plait plus dans la pratique du canoë par rapport au kayak ?
En canoë, on est positionné sur les genoux donc davantage en hauteur, ce qui favorise les sensations de glisse et d’instabilité. Les coups de pagaie sont moins cadencés qu’en kayak, ce qui favorise aussi cette sensation de glisse que j’aime ressentir.
Peux-tu nous présenter ton palmarès ?
En 2013, en junior 1 (17 ans), j’ai fait vice-championne d’Europe en biplace, sur 500m, avec Manon Follet et 3een monoplace, sur 200m. Cette même année, j’ai aussi obtenu une 3eplace aux Championnats du monde, en biplace, sur 500m. En junior 2, j’ai raté la médaille de peu avec une 4e place aux Championnats d’Europe, en biplace toujours. Lors de ma première année sénior (19 ans), je me suis blessée au coude. J’ai donc fait une année sabbatique, le temps de me remettre d’aplomb. L’année qui a suivi a été bien chargée avec ma saison en sprint, en U23 et ma participation aux Championnats du monde en marathon (distance variant autour des 20 km) où j’ai obtenu une médaille d’argent. En 2017, j’ai obtenu une médaille d’argent également en biplace, aux Championnats du monde U23. Malheureusement, il y a deux ans, j’ai été opérée à l’épaule, ce qui a entrainé une saison quasi-blanche. L’année dernière, à mon retour à la compétition, j’ai pu de nouveau faire une saison presque normale même si toujours embêtée par cette même blessure. Mes résultats ont été corrects mais le choix a été fait de ne pas me sélectionner dans le biplace pouvant aller chercher la qualification aux Jeux Olympiques. De tout manière, dans le même temps, j’ai dû arrêter ma saison pour me faire enlever les vis dans mon épaule. C’était d’ailleurs au lendemain des Championnats du monde U23, où j’ai pris la 6eplace en biplace, sur 200m, avec Elora Helle. Mais il y avait encore la possibilité de se qualifier pour les Jeux car les rattrapages européens étaient prévus en mai de cette année. Donc, désormais, on est dans l’attente d’une reprogrammation.
Quel est le plus beau souvenir de ta carrière jusqu’à présent ?
Ça reste ma médaille avec Eugénie (Eugénie Dorange, son binôme en biplace) en 2017 aux Championnats du monde U23, en Roumanie. C’est un souvenir qui me marque car j’ai connu beaucoup de galères physiques et avant cela, on avait fini trois fois au pied du podium. Une nouvelle compétition sans médaille aurait été très frustrante. On a réussi une bonne course, en mettant tout ce qu’il fallait en place. Sur cette course, les trois premiers ont battu l’ancien record du monde donc c’était vraiment un beau moment.
As-tu un sportif qui t’inspire particulièrement ?
Je n’ai pas un sportif précis qui m’inspire particulièrement. Par contre, je suis admirative des athlètes comme Teddy Riner, Martin Fourcade ou encore Renaud Lavillenie, qui en plus d’être de grands champions, ont réussi à rester longtemps au plus haut niveau. Selon moi, c’est cela qui est le plus dur.
Peux-tu vivre de ta passion ? As-tu un métier ou fais-tu des études à côté ?
On ne peut pas en vivre pour le moment car nous ne sommes rémunérés par la fédération ou d’autres organismes. Cependant, pour ma part, j’ai la chance de faire partie de l’équipe olympique du Pas-de-Calais et du Nord-Pas-de-Calais.J’ai aussi un contrat d’image avec la communauté urbaine d’Arras. Tout cela me permet de vivre de manière décente et ça m’aide à payer mes frais sportifs. C’est le passage en sport olympique qui m’a permis de débloquer toutes ces aides-là.
Au niveau du métier, ça reste un peu flou. J’ai une licence STAPS en éducation motricité car je voulais faire professeur d’EPS initialement. Mais je me suis rendue compte, avec les retours de mes différents amis professeurs d’EPS que ça ne me plaisait pas forcément. Du coup, cette année, je suis une formation universitaire en « gestion du stress et des émotions » qui dure un an. Le but est par la suite de pouvoir prendre en main des séances de relaxation et d’apporter mon aide aux gens qui en ont besoin. J’essaye de continuer à me former pour devenir compétente, pour être polyvalente, sans pour autant savoir précisément ce que je veux faire pour l’instant.
Source: Eleah Dupont
Après avoir répondu à ces quelques questions sur ton sport, nous allons désormais aborder la situation actuelle. La période que nous vivons en ce moment est inédite et demande aux sportifs de revoir complètement leurs plans pour l’avenir. La préparation est chamboulée, comme le calendrier de ces derniers. Par conséquent, quel est ton état d’esprit vis-à-vis de cette situation?
Je suis dans le flou. Au début, l’épidémie nous semblait loin quand même mais la situation a vite pris de l’ampleur. En ce qui me concerne, j’étais en stage quand on a commencé à en parler de manière un peu plus sérieuse mais on nous a juste dit de faire attention dans l’aéroport. Quelques jours plus tard, on nous annonçait le confinement, qu’on ne pouvait plus sortir. Pour ce qui est des compétitions internationales, c’est très frustrant d’être dans le flou et de ne pas savoir ce qu’il va se passer mais les décisions ont été bien prises. Si les Jeux Olympiques s’étaient déroulés à la date prévue, ça aurait été stressant pour tout le monde. Comment bien se préparer pour un évènement si important en étant confiné ? On n’aurait pas pu être dans un grand pic de forme.
Qu’est-ce qui te manque le plus en cette période de confinement ?
La liberté de pouvoir faire ce que je veux. Sortir avec l’attestation, c’est bien mais courir sur un circuit de 2km, ça devient vite redondant.
Qu’est-ce que tu apprécies le plus dans le confinement ?
J’ai emménagé il n’y a pas longtemps avec mon copain. C’est sympa d’avoir du temps pour soi. On revenait tout juste d’un stage de 3 semaines et peu de temps après, on était en confinement. Donc, au début, ça m’a permis de faire une pause, mais ça devient vite frustrant de ne pas pouvoir faire ce que l’on veut. En plus, avec le temps actuel, on a une seule envie, c’est de sortir prendre l’air.
As-tu des contacts avec ton club ? (Avec ton entraîneur, des coéquipiers)
Dans un premier temps, on ne savait pas comment gérer cette situation, ce qui allait se passer concrètement. C’est notre coach qui nous a rapidement envoyé des informations, au fur et à mesure car il était en relation avec la fédération. Aussi, il nous appelle de temps en temps et nous donne des idées d’entrainement à faire chez nous. Également, on prend des nouvelles de nos partenaires d’entrainement, pour savoir si jamais il y en a certains qui dépriment.
Que fais-tu pour te maintenir physiquement en forme pendant cette période ?
Notre coach nous envoie des programmes d’entrainement mais ça reste assez compliqué à suivre, car ça demande pas mal de logistique. Néanmoins, j’essaye de garder la forme en faisant des séances de rameur chez mes parents, qui habitent tout près de chez moi. Donc, un jour sur deux, je fais du rameur et sinon, je cours. Je fais aussi du gainage et j’ai du matériel pour faire du renforcement musculaire.
Quels seront tes objectifs pour ton retour à la compétition ? (À court et long terme)
Le retour à la compétition n’est pas prévu pour tout de suite. D’après les dernières informations, les compétitions internationales ne reprendront pas avant le 15 août. Mais pour nous, la vraie saison commence l’été, il n’y a pas de grosses compétitions en hiver. Donc, je n’ai plus de réels objectifs à court terme. Mais normalement, à la fin du confinement, nous allons avoir des regroupements avec la fédération. Ce seront des stages qui vont être importants car ils vont permettre aux entraîneurs de voir si on a gardé la forme. Ils vont essayer des compositions de C2 (biplace) pour aller chercher la qualification aux rattrapages européens. De toute façon, la préparation des échéances à court terme et des Jeux Olympiques à Tokyo rentrent de manière naturelle dans la préparation des Jeux Olympiques 2024.
Comment vis-tu le report ou les annulations des différentes évènements sportifs ?
On était en stage au Portugal, pour préparer les sélections de l’équipe de France car à l’heure actuelle, les compositions ne sont pas faites et on ne savait pas qui allait partir aux rattrapages européens et sur les autres compétitions internationales. Du coup, ce n’est pas forcément frustrant car je ne savais pas si j’allais être prise. Néanmoins, j’ai tout de même une part de frustration car j’avais l’impression d’avoir bien progressé lors des différents stages et on a fait une compétition après les stages, où j’ai eu des résultats prometteurs. J’étais dans une bonne dynamique, pas loin d’un pic de forme. Je connais ma marge de progression et je savais que j’étais dans une période où je pouvais vite m’améliorer. Donc c’est frustrant de stopper une période de progression de la sorte.
Quelle est la première chose que tu feras après le confinement ?
Aller en ville, prendre l’air, voir mes amis, me promener librement.
Pourquoi avoir décidé de rejoindre Futur Sport ? Quelles sont tes attentes ?
J’ai vu pas mal d’athlètes rejoindre l’association, des kayakistes notamment. Au début, je ne savais pas trop ce que c’était. Quand on m’a contactée par mail, je ne m’étais pas trop attardée. Mais au fur et à mesure que des gens rejoignaient l’association, je m’y suis intéressée de plus en plus. C’est un projet cohérent car on est un sport très peu médiatisé et ça permettra donc de donner plus de visibilité. Ça permet de changer aussi l’image qu’on peut avoir du canoë comme une activité qu’on ne fait que l’été, pour s’amuser, en promouvant le côté sport.
Merci à Julie Cailleretz d’avoir répondu à nos questions. Une potentielle qualification aux Jeux Olympiques de Tokyo est toujours d’actualité pour elle. Débarrassée de ses soucis physiques, elle pourrait avoir une chance de rejoindre le pays du soleil levant, en juillet 2021 et ainsi faire partie des premières céistes à participer à une olympiade. Elle est donc une sportive à suivre de près dans les mois et les années à venir.